L'Agriculture Naturelle Japonaise - Chapitre 1 : Okada Mokichi et les religions Sekaï Kyūseï-kyō et Shinji Shumeï-kaï
L’Agriculture Naturelle Japonaise - Chapitre 1 : Okada Mokichi et les religions Sekaï Kyūseï-kyō et Shinji Shumeï-kaï
(English version to follow)
Le terme japonais shizen-nōhō, traduit en français le plus souvent « agriculture naturelle » ou encore « agriculture sauvage » (même si en réalité le terme « nature-agriculture » serait plus exact) date de 1950, quelques 25 ans avant la publication par Fukuoka Masanobu de « Révolution d’un seul brin de paille » : c’est alors que l’utilisa pour la première fois le religieux Okada Mokichi (岡田茂吉 1882-1955) pour désigner un ensemble d’approches agriculturelles qu’il développait depuis les années ‘30 déjà et qu’il présentait de manière définitive dans son livre « Shizen-nōhō Kaïsetsu-sho » (自然農法解説書 « Livre d’explication de l’Agriculture Naturelle ») en 1953. Créateur en 1935 de sa propre religion, l’église de Sekaï Kyūseï-kyō (世界救世教 ‘Religion de Rédemption pour le Monde’), Okada conçut le shizen-nōhō comme moyen de rédemption pour l’humanité, un outil pour reproduire le ciel sur la terre, écrivant que : « [i]l y a une relation entre le simple fait de cultiver et de consommer notre nourriture, et la question plus vaste de cultiver un monde plus pacifique ». [cf. note 1]
La religion Sekaï Kyūseï-kyō existe encore au Japon (elle comptait en 2009 1 031 506 pratiquants)[cf. note 2] et possède parmi ses nombreux biens un centre de recherche à Matsumoto dans la préfecture de Nagano, le Shizen-nōhō Kokusaï Kenkyū Kaïhatsu Sentā (自然農法国際研究開発センター « Centre International de Recherche et Développement de l’Agriculture Naturelle »), fondée en 1985, qui continue le travail agriculturel de son fondateur, mais c’est à un autre groupe religieux que l’on doit la vraie expansion du shizen-nōhō : le Shinji Shumeï-kaï (神慈秀明会).
Fondée en 1970 par Koyama Mihoko (小山美秀子 1910-2003), la nouvelle religion Shinji Shumeï-kaï se donnait pour mission de faire connaïtre les enseignements d’Okada Mokichi : elle est en effet reconnue par Sekaï Kyūseï-kyō comme une branche de la même religion. Regroupant l’ensemble de techniques et théories agriculturels d’Okada sous le nom de shumeï-shizen-nōhō (秀明自然農法), Shumeï (c’est ainsi que le groupe est communément appelé) s’impliqua de manière plus en plus sérieuse dans la pratique et, à l’occasion d’une assemblée en 1992, demanda à tous ses fidèles de participer activement au développement du mouvement. La dynamique ainsi créée permit, 20 ans plus tard en octobre 1992, de lancer le shumeï-shizen-nōhō netwāku (秀明自然農法ネットワーク), réseau de production et de distribution de légumes cultivées selon les préceptes de shumeï-shizen-nōhō et véritable machine de guerre dans le mouvement. [cf. note 3]
Présente aujourd’hui aussi bien dans toutes les régions du Japon qu’aux Etats-Unis, en Taïwan et en Europe, l’organisation Shumeï se veut l’ambassadrice officielle de l’agriculture naturelle japonaise et s’est tranformé en poids lourd dans le milieu. Comme disent Charles et Perrine Hervé-Gruyer :
« [s]elon Shumeï, le paysan peut-être l’artisan fécond d’une reconnexion entre nos contemporains et la nature, le rythme des saisons,leur corps et leur santé, par le biais des éléments sains qu’il produit. Dans ce pays qui a vu naître les premières formes de partenariat entre consommateurs et producteurs, les teikei, chez nous baptisés Amap, Shumei milite pour une relation fondée sur la reconnaissance mutuelle : gratitude des consommateurs pour les paysans, dont le travail leur procure des produits sains, et gratitutde des paysans pour les consommateurs, dont l’engagement dans la durée leur permet de vivre dignement de leur métier. »[cf. note 4]
Le réseau mis en place par Shumeï est à la fois énormément efficace et peu connu au Japon parce qu’il se repose presque entièrement sur les fidèles de la religion : les lignes qui, normalement, séparent le producteur du consommateur sont brisés de manière à ce que l’ensemble des membres de l’organisation puissent soutenir – non pas seulement financièrement, mais aussi physiquement – l’ensemble des agriculteurs. Une bonne partie des 300 000 pratiquants de Shumeï n’hésitent pas à descendre dans les champs et aider aux moments difficiles : dans un reportage publié sur le site de la Rodale Institute, insitut de recherche dans l’agriculture biologique ultra-réputée aux Etats-Unis, Lisa Hamilton écrit que :
« les 1 290 agriculteurs pratiquants de shumeï shizen-nōhō sont rarement seuls sur les marchés ou dans les champs. C’est parce que les consommateurs sont aussi les membres de Shumeï ; dévoué à l’agriculture comme objet spirituel, ils quittent leurs rôles ordinaires pour pratiquer leur version d’une AMAP. Etre client ne veut pas dire juste acheter de la nourriture, mais aussi organiser des AMAPs, aider à désherber les champs de riz, et parfois même devenir agriculteur eux-mêmes.
On pourrait considérer les consommateurs Shumeï comme un marché captif, mais en réalité c’est le concept même du marché qui a été renversé : les lignes qui séparent consommateur et producteur sont dissolus. »[cf. note 5]
note 1. Dena Merriam, The Message in a Seed: Guidelines for Peaceful Living (traduction Charles et Perrine Hervé-Gruyer dans Permaculture Guérir la Terre, Nourrir les Hommes, p. 157)
note 2. Wikipedia, 世界救世教
note 3. Hokazono Shingo & Ohara Kyotarō, 現代農業における「秀明自然農法」の意義 実践農家の技術と経営を通して, « 農林業問題研究(第162号・2006年6月) » Article sur la contribution de Shumeï shizen-nōhō à l’agriculture contemporaine paru dans un journal consacré à l’agriculture et la foresterie.
note 4. Charles et Perrine Hervé-Gruyer Permaculture Guérir la Terre, Nourrir les Hommes, p. 157
note 5. « Japan’s 1,290 practicing Natural Agriculture farmers are rarely alone at the market or in the field. That’s because the consumers are also members of Shumei; equally devoted to agriculture as a spiritual pursuit, they break out of their ordinary vocational roles to practice their version of CSA (Community Supported Agriculture). Being a customer means not just buying the food, but organizing a CSA, helping to weed the rice paddies, and sometimes becoming farmers themselves.
Shumei consumers could be seen as a captive market, but really it’s the very concept of a market turned on its head; the lines that traditionally separate consumer from producer all but dissolve. » Lisa Hamilton, Farming measured by a different yardstick altogether, Rodale Institute
A suivre : Chapitre 2 - Les descendants de Fukuoka Masanobu : Kawaguchi Yoshikazu et Takeuchi Atsunori
Pour en savoir plus sur moi (en anglais), c’est ici
Pour en savoir plus sur ma ferme, Le Potager des Cerfs, c’est ici : @potager-cerfs
Très intéressant, la culture japonnaise est tellement puissante. Merci pour ce partage
Ta ferme le @potagerdescerfs ce trouve donc dans la préfecture de Nagano ? Tu travaille donc avec des locaux ?
Oui, dans la préfecture de Nagano. Je travaille avec les gens du coin, mais je ne cultive que des variétés françaises, et de manière plutôt maraîchère/permaculturelle, donc pas grand choses à avoir avec ce que font les gens autour...
Ah d'accord, ça n'a pas grand chose à voir mais ça leur permet de découvrir de nouvelle méthodes, et vice versa. En tout cas les variétés françaises doivent avoir un franc succès là bas. C'est un beau projet !
I love farming especially rearing chicken. Thanks for sharing this heart touching message:)
Rien à dire, superbe article. Très complet. Des références à d'autres personnes du milieu très appréciables. Bonne petite piqûre de rappel pour moi.
Hâte de voir à quoi ressemble ta ferme ! :)
Merci ! Au départ c'est un texte que j'avais écrit pour la Ferme de Sainte Marthe ou j'avais fait une formation il y a deux ans. Cela fait un petit moment que j'ai voulu le retravailler et le mettre à jour. Et puis le traduire en anglais aussi...
Quant à ma ferme, pour l'instant ce n'est que des terrasses (des anciennes rizières) toute vides, entourées par un clôture électrique. Je suis encore au niveau "mais je ne vais jamais y arriver ! qu'est-ce que je fous ici ?!!! "
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