[Jacques et Markus] Le concours Croc-Mitaine
Attention, avant de lire nos nouvelles, il est fortement conseillé d'avoir lu le prélude, sans ça vous risquez de ne comprendre absolument rien (déjà que c'est pas facile de base).
Illustration : Tony Crayon
Aux environs de six heures douze et trente et une secondes, dans la ruelle où vivait Jacques, un fracassement réveilla le voisinage. Le shérif de Saint-Glier venait de rentrer de son stage de cuisine. Comme à chaque retour de stage, Markus avait fait tomber la boîte aux lettres publique.
Il ne s’agissait pas d’une vengeance personnelle vis-à-vis des postiers et encore moins d’un souhait de réveiller tout le quartier. L’acte était à chaque fois involontaire. En effet, pour votre gouverne, il fait encore très sombre à six heures douze et trente et une secondes.
Mais accessoirement, cet incident prévenait Jacques à chaque retour de Markus. Et c’est comme un enfant sortit de son lit, encore vêtu de son pyjama favori, que Jacques se précipitait vers le palier de maison pour l’accueillir. Ils se serrèrent chaleureusement, mais pas trop longtemps afin de n’exprimer que fraternité.
« Montre-la-moi ! » dit Jacques, empli d’excitation.
Markus déposa un sac de médecins sur la table de la cuisine et en sortit une toque de chef cuisinier. Il la tendit à Jacques d’une de ses pattes gauches.
La toque appartenait à un certain Philippe Etjtebèz qui, en plus d’avoir passé l’essentiel de sa vie à justifier le fait qu’il n’insultait personne en prononçant son nom de famille, avait appris dès l’enfance, l’art de la cuisine. Il était devenu un grand maître grâce à sa tourte à la barbe. Les pigments grisonnants ajoutés juste avant la cuisson conféraient au plat une saveur poivre et sel.
« Elle est magnifique », avoua Jacques.
Il savait que la toque de chef n’avait aucune valeur en soi, mais signifiait que Markus avait parachevé son art culinaire, car M.Etjtebèz ne léguait ses toques qu’aux élèves les plus assidus. L’obtention de ce mérite allait être décisive pour ce qui les attendait dans l’après-midi...
Quatorze heures cinquante-huit, le concours Croc-Mitaine de Saint-Glier accueillait les différents participants qui rejoignaient leur plan de cuisine respectif. L’épreuve durait trente minutes et l’objectif était la réalisation d’un dessert « exceptionnel ». À l’issue du concours, le duo de cuisiniers gagnants recevrait un kit de prêt-à-monter d’un four à micro-onde. Une occasion inespérée pour Jacques qui avait abîmé le sien en testant la cuisson d’un bloc en aluminium sous les conseils de Philistin. Il fallait gagner et avec le stage de cuisine en poche, tous les espoirs étaient possibles.
Les deux coéquipiers étaient habillés d’un tablier et d’une demi-toque. Pour ne pas faire de jaloux, Markus avait séparé à la verticale l’objet précieux à l’aide d’un couteau japonais également offert par M.Etjtebèz et par la suite, toujours afin de ne pas faire de jaloux, avait offert le manche du couteau à Jacques. L’outil se retrouvant inutile, ils ne le prirent pas pour l’événement...
Quinze heures, la cloche sonna le départ...
À leur gauche, un duo de mygales jonglait avec les ustensiles pour épater la galerie. Mais aucun challenger ne semblait impressionné, à l’exception de Jacques qui commençait à s’inquiéter. Markus ne faisait qu’amplifier le sentiment de Jacques, car bien au lieu de cuisiner, celui-ci était assis en tailleur sur un coussin tantrique. « Que fais-tu ? » demanda Jacques, mais Markus ne répondit pas, se contentant de redoubler d’efforts dans la prononciation de son mantra. Jacques l’imita afin de calmer son stress.
Parmi les 4 équipes concurrentes, certaines avaient une avance considérable. Les mygales avaient commencé le troisième étage de leur pièce montée en nougatine. Soudain, Markus se leva et la surprise fut totale. Il venait de démarrer une série d’étirements dorsaux. En parallèle, il chauffait ses poignets l’un après l’autre. « Tu plaisantes j’espère » demanda Jacques. Mais Markus d’un regard perçant lui fit faire silence. Jacques déposa la spatule qu’il mâchouillait depuis douze minutes et capitula.
Il ne restait plus que dix petites minutes. Markus se leva alors d’un bond et saisit minutieusement et d’une rapidité déconcertante les ingrédients et ustensiles pour la préparation de son dessert. Il était à l’œuvre. Jacques l’assistait avec grâce. « Plus que trois minutes... » annonça une voix ronchonne dans un haut-parleur suspendu. Un perroquet et une sauterelle venaient de brûler leur fournée de madeleines. Le perroquet se mit à pleurer comme leurs pâtisseries pendant que la sauterelle le consolait. La pièce montée des mygales commençait à vaciller au regard des seize étages.
Pour les concurrents, ce n’était pas de la tarte, mais pour Markus, c’était du gâteau. À une minute avant la fin il râpait le citron de ce qui allait être une mousse pâtissière sans œuf avec un soupçon de zeste de citron vert des îles Caïmans.
« 3... 2... » mais la voix ronchonne ne termina pas son décompte. Une violente tempête mêlant pluie et orage venait de commencer, et, un à un, les stands des participants se faisaient souffler. Rapidement, la panique s’engagea et les participants se mirent à l’abri pour éviter l’assaut naturel. Jacques fonça vers son coupé et démarra approximativement. Après quelques dérapages réussis, sans applaudissement du public, il s’approcha de son stand et récupéra Markus trempé jusqu’aux anneaux.
Par chance, ils n’étaient qu’à quelques pâtés de maisons de la leur et quelques minutes plus tard, ils buvaient un thé bien chaud, servi par tante Tartine. S’estimant vainqueur, Markus avait profité de la panique pour subtiliser le kit de construction du four à micro-onde. Les jours suivants allaient être riches en bricolage.
Il y a deux morales à retenir dans cette histoire. La première est qu’il est inutile de se presser dans la vie, surtout pour une tarte au citron. La seconde est qu’il n’y a pas de vainqueur face au temps.
Suivez les aventures de Jacques et Gontrand (et leurs deux compères)
Le Prélude
Le Shérif de Saint-Glier
Le châle
Le violon
Destin sans frontière
Le princier
Le rêve
Vie paisible
Curé n'est pas qui vaut
Le blues dans le bus
La taverne portuaire
Ouvrez les yeux !