Nous sommes de la boue qui marche # 13

in #life7 years ago (edited)

Episode 13 - Âme sensible s'abstenir

Résumé:
Les lettres de mon grand-père (Robert) échangées avec ses proches pendant la guerre de 1914/1918 sont restées au fond des tiroirs jusqu'à ce que la commémoration du centenaire de " La Grande Guerre" réveille les mémoires et invite mon père, en premier, à me parler de son beau-père.
La chance me permit de récupérer ensuite de nombreuses lettres chez des parents. A travers ce blog je vais vous faire partager une partie de cette correspondance de 1914 associée aux mémoires de mon grand-père qu'il a écrites en 1956.

Précédents épisodes: 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 - 9 - 10 - 11 - 12

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Image du Blog adelette.centerblog.net

Pour permettre au lecteur de suivre l'histoire chronologiquement je choisis délibérément de rapporter la lettre de Robert narrant comment il fût blessé puis fait prisonnier par les allemands bien que celle-ci ait été écrite après ses lettres du camp de prisonnier de Darmstadt.

Lettre de Robert à sa soeur Renée - 15 janvier 1917

Ma chère Renée,
Il me tarde d'avoir de vos nouvelles et de pouvoir vous embrasser car j'ai tellement de choses à vous raconter qui malgré tout sont trop longues pour être écrites. Tu peux toujours savoir que j'ai été brutalisé immédiatement après avoir été pris, que les Allemands m'ont sorti de la sape dans laquelle je me suis trouvé, et puis... Il vaut mieux que je te raconte le tout par le menu.

Le 24 février 1916, à trois heures du matin, je rentrai à l'emplacement de ma batterie. Le bombardement devint si intense que je ne pus même plus assurer le ravitaillement. Nous avons tiré énormément; vers trois heures et demie nous amorcions un tas de cent obus malgré les explosions continuelles et les gaz.

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Je rentrai dans la sape avec les camarades quand tout à coup un obus ayant éclaté tout près du tas amorcé, un éclat chaud, mit le feu aux douilles et les cent obus flambèrent, la fusée dirigée vers nous. Nous nous recroquevillions de notre mieux et heureusement aucun obus ne me fît mal. Quand je me retournai je m'aperçus qu'un téléphoniste voisin de moi était couché sur le dos et la tête dans la paille. Je me suis dis: "Encore un qui va mettre le feu dans la paille avec son mégot" car je voyais un peu de fumée près de lui.

Je le tirai par la manche et, sa tête retombant en arrière, je vis qu'il avait le crâne décalotté par un éclat. La fumée était la vapeur de son cerveau qui s'écoulait derrière lui car il gelait dur. Nous le couvrîmes d'une toile de tente et je m'assis, adossé à la paroi. Soudain j'entendis et ressentis une violente explosion toute proche de moi.

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Un coup en vrille me traversait la figure, mon casque volait en morceaux. Je mettais la main à ma tête et la retirais pleine de cervelle. J'eus peur un millième de seconde puis, logique, je me dis: "tu ne peux pas voir ton cerveau ainsi". C'était de la matière cérébrale d'un camarade qui m'avait été projetée dessus.

J'entendis un bruit énorme et les râles des camarades me faisaient l'effet des cris d'une portée de petits chiens. Debout, sans songer le moins du monde à ce que je faisais, je criais: "Vive la France" absolument inconscient, comme ceux qui crient "Maman" ou "Nom de Dieu" ou "Debout les morts". Puis je me dirigeai vers la porte et m'écroulai.

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Là, à la hauteur du sol, je vis quelqu'un. Je crois que c'était le lieutenant Garambois qui, me voyant ainsi, horrible, le nez cassé, crachant mes dents, plein de sang, sale, barbu,s'écria: "Ah mon pauvre ami"! Mais je pensais qu'il ferai bien mieux me sortir de là. Je me balayai la figure du revers de la main et je sentis que l'oeil droit pendillait, complètement crevé.

Ainsi sorti du trou je fis les quinze mètres tout seul pour rejoindre la sape de commandement. Je tombai et les camarades me firent un pansement à la tête. Quand ils me demandèrent si j'avais mal, là je ressentis seulement mes blessures au bras et à la cuisse. Peu après, la fièvre montant, je vis en moi-même l'auto, le train sanitaire, les Dames de la Croix Rouge, la convalescence et je criai: "Mon lieutenant, mon lieutenant, évacuez-moi!" Puis ce fut le coma.

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Quand je me réveillai je vis que l'on m'avait retourné. Je me remis sur le dos et vis un peu de gris boche au-dessus d'une botte. Ah, je me dis, ce sont les Boches; ils étaient en cercle dans un coin à s'empiffrer de nos boîtes de porc rôti, pain et bidons.
"A boire!", criai-je, puis, n'étant pas compris, je le criai en allemand. Ils me tendirent un bidon que je bus presque entièrement, c'était réconfortant. Un Boche me le reprit et, le sentant, me dit: "Du trinks aber schnaps gern!" (Tu bois volontiers la gnole!) C'était un des bidons d'eau de vie que j'avais sifflé d'un seul trait. On me dépouilla de mes souliers, médaille coloniale et porte-monnaie et on me transporta dehors avec les cadavres. J'appelais en français puis en allemand et de temps en temps une ombre boche s'approchait, reconnaissait un Français et me donnait un coup de crosse ou de pied. Un officier même, accoutré d'une manière inusitée, me braqua son Browning. Je me jetai sur le côté, il ne tira pas.

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Dans la nuit des brancardiers me prirent, me laissèrent. D'autres vinrent. J'avais passé quinze heures dans la neige. On me transporta sur une prolonge d'artillerie pendant que les hommes lance-flammes se préparaient à l'assaut. Je mis poliment mes pieds en chaussettes sous les fesses d'un blessé allemand pour qu'il les protège du froid. Nous croisions, dans les cahots du sol gelé, un flot incessant de troupes qui montaient.

Enfin j'atteignis une infirmerie de campagne où je restai 48 heures à côté d'un subalterne qui, une balle dans la tête, criait sans arrêt. Dans l'église du village, un joyeux toubib de zouaves, prisonnier, me certifia avec l'accent méridional en refaisant mon pansement, que mon oeil droit était foutu.

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Une auto me prit et m'emporta à Pierrepont où je fus assez bien soigné par une Dame de la Croix Rouge. Je restai là cinq jours puis on m'embarqua dans un superbe train sanitaire avec des Allemands; ceux-ci s'arrêtèrent à Mayence et les Français partirent jusqu'à Darmstadt. J'arrivai le soir au lazarett.~

Image du Blog adelette.centerblog.net

Voilà donc Robert blessé gravement et prisonnier des allemands. Nous le suivrons jusqu'à Darmstadt, en Allemagne, où biensûr il reprendra sa correspondance et nous fera vivre un autre genre de souffrances.

Sort:  

C une partie sanglante et émouvante de notre histoire à tous que tu nous livre dans ces lettres. Merci.

Merci à toi @lama21 de t'être intéressé à ces lettres.

Poignant...

Il a du te mettre du temps a faire celui la, non? Le choix de tes photos est génial pour illustrer, et jolis séparateurs 😊

Tu dors pas toi?
A vrai dire j'ai pris un peu de repos depuis que tu es partie!!ahahah
Merci pour ton commentaire, je vois que tu comprends quand il y a du travail.

Non, presque.
Et oui, je remarque quand il y a un gros effort de présentation :)
Bravo en tout cas. Repos bien mérité.

moi âme sensible....

Àme sensible, remuée pour quelques jours ...
merci @ofildutemps !

Croire que les hommes ont appris de ces horreurs ..... Mon dieu !
Et aujourd’hui la Syrie et bien d'autres pays qui vivent et font l'horreur..

:(

Oui malheureusement l'Histoire ne fait que de se répéter.
A croire que c'est dans la nature humaine d'être aussi d'être déstructeur.
Quelle tristesse...

Mon Dieu, quel atroce cauchemar !Tous ses morts et mutilés, que de souffrances... Robert s'en sort mais à quel prix en perdant un oeil et prisonnier, il devait angoisser sur son sort..