Satoshi Nakamoto, argent secret Par Christophe Alix — 12 août 2019 à 18:06

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Satoshi Nakamoto, argent secret
Par Christophe Alix — 12 août 2019 à 18:06
De l’insaisissable créateur du bitcoin, on ne connaît que le pseudo. De théories plus ou moins délirantes en coups de théâtre, la presse et les passionnés de «crypto» s’évertuent depuis dix ans à percer le mystère.
Satoshi Nakamoto : le pseudonyme ne vous dit peut-être rien mais c’est l’une des plus grandes énigmes de l’ère cyber. Traqué depuis des années mais jamais identifié, cet insaisissable développeur informatique a créé, il y a dix ans, le bitcoin. La toute première des monnaies virtuelles, qui a depuis pavé la voie à plusieurs milliers d’autres cryptomonnaies. Les Etats, qui n’auraient jamais parié sur une telle longévité, voient généralement dans son invention une dangereuse utopie qui a surtout enrichi quelques spéculateurs et permis aux criminels en tout genre de blanchir leur argent sale, comme le disait encore le secrétaire au Trésor américain, Steven Mnuchin, mi-juillet. Une raison suffisante pour rester caché ? Le moyen le plus sûr et radical, en tout cas, de préserver sa liberté et de faire grandir le mythe d’une monnaie libre, décentralisée et autorégulée, qui n’appartient à personne et surtout pas à son créateur. Comme l’explique le journaliste d’investigation américain Jake Adelstein, qui a cherché comme tant d’autres à le démasquer et l’a raconté dans J’ai vendu mon âme en bitcoins (Marchialy, 2019), plus on cherche à en savoir sur lui, plus le mystère s’épaissit. Anonymat mode d’emploi.

Anarcho-capitalistes
Le nom de Satoshi Nakamoto apparaît pour la première fois le 31 octobre 2008, en alphabet latin, sur le forum de la P2P Foundation, qui milite pour le développement des échanges de pair-à-pair comme alternative à l’organisation traditionnelle de l’économie et de la société. Dans un anglais parfait qui pousse certains à penser qu’il ne peut pas être japonais comme il le revendique - il ne s’est jamais exprimé que dans la langue de Shakespeare -, il y publie un document de neuf pages résumant le modèle du bitcoin. «Une version purement pair-à-pair de l’argent électronique permettrait aux paiements en ligne d’être envoyés directement d’une partie à l’autre sans passer par une institution financière», écrit d’emblée Nakamoto, avant de détailler un système dans lequel chaque transaction entre deux parties serait enregistrée simultanément sur des milliers de serveurs. Une preuve infalsifiable, affirme-t-il, rendant obsolète le passage jusqu’alors nécessaire par un tiers de confiance. Plus de banques ni d’intermédiaires d’aucune sorte, mais la promesse d’une fluidité totale d’échanges instantanés et universels, sans taux de change ni commission. Le rêve libertarien exaucé par la grâce du dieu informatique.

Ce momentum de l’apparition du bitcoin ne doit rien au hasard. Un mois plus tôt, la faillite de la banque Lehman Brothers, que les autorités américaines ont refusé de sauver pour l’exemple, a entraîné la pire déflagration financière de l’histoire. De quoi conforter la thèse, répandue chez les anarcho-capitalistes fondus de technologie, que la monnaie ne peut être confiée aux Etats et à leurs bras armés, les banques centrales, toujours tentés de la manipuler à des fins politiques. Avec le bitcoin, dont la régulation obéit à un algorithme, plus de création monétaire incontrôlée ni d’inflation. La monnaie se virtualise en un script informatique inviolable et programmé pour ne produire qu’une quantité limitée d’argent, 21 millions de bitcoins et pas un de plus. Un nouvel or numérique, que l’on mine non plus avec des pelles, mais en moulinant des milliards de lignes de code informatique qui, une fois décryptées, libèrent la nouvelle devise, unité par unité.

Le 3 janvier 2009 à 18 h 15 GMT, Satoshi Nakamoto passe de la théorie à la pratique et génère le premier bitcoin. C’est le «genesis block», le premier segment du registre de la blockchain (stockage et transmission d’informations sans organe central de contrôle) du bitcoin, et la première utilisation de cette technologie révolutionnaire à la robustesse éprouvée. Il y adjoint un lien hypertexte pointant vers un article du Times britannique titré «Le ministère des Finances sur le point de renflouer les banques pour la seconde fois». C’est le sous-jacent politique du bitcoin, qui apparaît au moment où le système financier mondial, en proie aux pires doutes, lutte pour sa survie dans un climat de panique. Satoshi Nakamoto, qui n’a révélé que sa date de naissance (le 5 avril 1975) comme détail personnel, accompagne ce geste fondateur d’un mode d’emploi, avec le code source et le logiciel de sa monnaie en libre accès. De quoi permettre à n’importe qui de commencer à la miner, pourvu qu’il possède un ordinateur assez puissant.

Signes de vie
Le premier à s’en emparer s’appelle Hal Finney. Ce développeur californien de génie, expert en cryptographie et très actif dans la mouvance cypherpunk (de «cipher», chiffrement), est réputé avoir reçu la toute première transaction en bitcoins (dix unités) envoyée en guise de test par son créateur. Comme il le racontera en 2013 sur le forum Bitcointalk - également fondé par Nakamoto -, peu de temps avant de mourir de la maladie de Charcot, il a alors beaucoup discuté par mail avec le créateur pour l’aider à stabiliser le code de sa monnaie virtuelle. Finney a été le second à l’utiliser.«La véritable identité de Satoshi est devenue un mystère, confesse-t-il. Mais à l’époque, je pensais avoir affaire à un jeune homme d’origine japonaise très intelligent et sincère.» Un témoignage qui, malgré ses dénégations ultérieures, lui vaut de se retrouver en bonne place sur la liste d’une dizaine de candidats suspectés de se dissimuler derrière le pseudo.

Il faut dire que la disparition de Hal Finney coïncide avec la fin des signes de vie émis par Satoshi Nakamoto depuis son invention. Après de nombreux échanges, jusqu’en 2011, avec les passionnés de cryptographie qui avaient rallié la micro-communauté naissante du bitcoin, il prend le large et désigne le développeur américain Gavin Andresen comme son successeur. Cet informaticien qui a œuvré à faire sortir la cryptomonnaie de l’ombre et à la rapprocher de la finance sera lui aussi soupçonné, sur la foi de méthodes de stylométrie (comparaison des styles d’écritures), avant d’affirmer que derrière Nakamoto se cache un certain Craig Wright. En 2016, ce businessman australien aura droit à son heure de gloire en revendiquant qu’il est bien celui que tout le monde recherche. Mais après avoir réussi à en persuader des médias tech comme Gizmodo et Wired, il se révélera incapable de le prouver en utilisant les clés cryptographiques créées par Satoshi Nakamoto pour miner les premiers bitcoins comme il l’avait promis. Raillé et qualifié de mythomane, Craig Wright expliquera «ne pas avoir eu le courage» de sortir de l’anonymat, tout en continuant à se proclamer unique inventeur de bitcoin, allant même jusqu’à menacer de procès quiconque affirmerait le contraire.

Gavin Andresen, successeur de Nakamoto. Photo Corbis. Getty Images

Des plus réalistes aux plus délirantes voire complotistes, de nombreuses théories sur l’identité de l’énigmatique Nakamoto ont égayé au fil des années une traque devenue jeu de piste au sein de la communauté «crypto». Quand certains y ont forcément vu la patte de la CIA ou d’autres services secrets, le journaliste du New York Times Nathaniel Popper a émis l’hypothèse qu’il pourrait s’agir de Nick Szabo, un Américain d’origine hongroise qui, en 1998, avait conçu un mécanisme de monnaie numérique décentralisé appelé «bit gold».

Le 6 mars 2014, les chasseurs de scoops lancés à ses trousses ont bien cru tenir le véritable Satoshi Nakamoto. Ce jour-là, le magazine Newsweek fait sa une sur une enquête intitulée «Le visage du bitcoin : le mystérieux personnage derrière la cryptomonnaie». L’auteure de l’article prétend avoir identifié la légende et rencontré à son domicile, dans l’est du comté de Los Angeles, un Nippo-Américain de 64 ans à l’air ahuri de professeur Nimbus du nom de Dorian Satoshi Nakamoto. Lors d’un bref échange avec Leah McGrath Goodman, la journaliste de Newsweek, l’ingénieur informatique à la retraite, qui a autrefois travaillé sur des projets secret- défense, reconnaît être l’inventeur du bitcoin. «Je ne suis plus impliqué et je ne peux pas en parler, répond-il. D’autres s’en occupent, mais je ne suis plus en contact avec eux.»

Montagnes russes
Les médias affluent et font le pied de grue devant chez lui, et voilà qu’il se rétracte et affirme qu’il s’agit d’un gros malentendu. Selon sa version, Dorian S. Nakamoto, qui n’a pas de connexion internet, a mal compris la question et cru qu’on l’interrogeait sur ses activités passées et confidentielles pour des contractants militaires. Quelques heures plus tard, un autre Nakamoto - précisons que 40 000 personnes portent ce nom au Japon - réapparaît par la voie du mail et laisse un message laconique, émis à partir de l’adresse utilisée par Satoshi à ses débuts sur le forum de la P2P Foundation : «Je ne suis pas Dorian Nakamoto.» Sa dernière intervention remontait alors à cinq ans. Un faux, dira-t-on, le compte ayant déjà été piraté pour tenter de revendre les données confidentielles de l’inventeur du bitcoin sur le Darknet.

Il n’existe en définitive qu’un seul moyen de prouver de manière quasi certaine que l’on est Nakamoto. Il faudrait pour cela déplacer les bitcoins initiaux qu’il a minés, jamais dépensés à ce jour, et qui sont enregistrés tout au bout de la blockchain, avec des numéros de série facilement identifiables. A défaut de connaître son identité, on sait qu’il est potentiellement très riche, puisqu’il aurait eu le temps d’amasser environ 1,1 million de bitcoins à ses débuts, soit 5 % de sa masse monétaire totale et 8,77 milliards d’euros au cours actuel. Un cours en forme de montagnes russes, passé de 0,0001 dollar (0,00009 euro) à près de 20 000 dollars (17 877 euros) en décembre 2017, avec une succession de bulles éclatant à intervalles réguliers avant de regonfler sous l’effet de mouvements spéculatifs défiant toute rationalité.

C’est sans doute le principal échec de Satoshi Nakamoto, et peut-être la raison pour laquelle, d’après Jake Adelstein, il n’a plus fait parler de lui : «S’il existe vraiment, qu’il soit une seule personne ou le pseudonyme d’un collectif, il doit être horrifié par l’incroyable pyramide de Ponzi [montage frauduleux consistant à rémunérer les investissements des clients par les fonds des nouveaux entrants, ndlr] qu’est devenu le bitcoin. Il pensait avoir trouvé le moyen de libérer les échanges et de nous émanciper des banques et de la finance, mais c’est l’inverse qui s’est passé. Le bitcoin est juste devenu un nouveau moyen de spéculer et de manipuler les marchés.»

S’ils sont nombreux à penser que l’on ne connaîtra jamais sa véritable identité, et à admirer cette élégance suprême du génie demeuré anonyme, Adelstein, seul journaliste occidental à avoir enquêté sur le monde du bitcoin au Japon, garde pour sa part une lueur d’espoir. «Nous le saurons un jour, il y a des indices, tôt ou tard cela arrivera et c’est certainement une personne qui mérite d’être connue», conclut-il. Satoshi, si tu nous lis

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