Steemit, le réseau social où les textes ne peuvent être supprimés
Ce jour-là, Camille a gagné 160 euros. Elle a posté des vidéos de ses vacances, fait un "direct" pour montrer sa partie de jeu vidéo, pris en photo les baskets qu'elle venait d'acheter pour informer sa communauté de la bonne affaire, répondu au message d'un membre qui demandait la traduction d'une chanson en anglais… Camille n'utilise ni Facebook, ni Twitter, ni YouTube, ni Snapchat. Elle fait partie du million d’utilisateurs inscrit sur Steemit. Lancé en mars 2016, il est le premier réseau social à s’appuyer sur une cryptomonnaie, le Steem, pour rémunérer ses auteurs. Ici, on ne "like" pas, on "upvote".
Plus on obtient de votes, plus on reçoit des steems. Sur la totalité des gains, 75% iront à l’auteur (qu’il pourra changer en monnaie de son pays) et 25 % aux curateurs (ceux qui ont voté). "Mais il faut être suivi par beaucoup de followers, explique la jeune fille. Depuis que je navigue sur cette plateforme, j'ai moins l'impression de perdre mon temps. Mon contenu a une valeur. Je préfère qu'il profite à moi plutôt qu’à Facebook. En plus, c’est gratifiant et motivant."
"Redonner du pouvoir aux gens"
Avec un seul compte, l’utilisateur navigue entre les différentes applications décentralisées reliées à la blockchain Steem : Steemit, Dtube pour voir des vidéos, Dlive pour témoigner d'un événement, Steemhunt et Blockdeals pour faire des affaires ou Musing pour partager de la connaissance. Il en existe plus d’une vingtaine. Mi-mai, lors de la conférence "Consensus 2018", à New York, l’un des cofondateurs, Ned Scott, déclarait vouloir "développer des réseaux et redonner du pouvoir aux gens".
Cette philosophie de l'autonomie qui vise à éliminer tout intermédiaire entre le producteur et le consommateur est la raison même des cryptomonnaies. Créées en 2008, ces monnaies numériques sont un "alliage" de techniques de cryptographie et de réseaux décentralisés. Elles ont été spécialement façonnées afin qu’aucune autorité extérieure (physique, morale ou étatique) ne puisse intervenir dessus pour en modifier leur exécution ou leurs données. Elles génèrent une blockchain qui stocke l'information de manière chronologique. Tout contenu qui y est gravé est techniquement infalsifiable, incontestable et impossible à supprimer. Qu’il plaise ou non.
Les lois devront-elles s'adapter aux blockchains?
Steemit repose sur ce sous-jacent technique à l'origine de toutes les cryptomonnaies et utilise une blockchain pour sauvegarder les données textuelles de ses utilisateurs. Il est donc préférable de réfléchir à deux fois avant d'écrire quoique ce soit sur le réseau social. Si l'interface utilisateur de ces applications décentralisées donne l'illusion de pouvoir modifier son contenu, il n'en est rien. Le directeur des contenus de Steemit, Andrew Levine, explique : "Personne n'a le pouvoir d'altérer une blockchain. Sur la nôtre, en cas de mise à jour d'une publication, l'utilisateur ne modifie pas l'ancienne version, il en ajoute une autre. L'interface utilisateur sert à choisir quelles sont les informations qui doivent être montrées et comment elles doivent l'être." Elle ne donne qu'une vue partielle et récente de l'iceberg que représente la totalité de la blockchain de Steem.
Dans ce contexte technique de l'immuabilité, où l'utilisateur ne peut pas effacer ses données ni invoquer un quelconque droit à l'oubli, comment les lois RGPD ou anti-fake news vont-elles pouvoir s’appliquer? David Teruzzi, fondateur de blockchain-conseil.fr, explique : "Face au caractère réfractaire à la censure d’une blockchain, le régulateur va vraiment avoir du mal à arrêter l’avancée de la technologie la plus dynamique de tous les temps. Cette position n’est pas politique, libertarienne ou autre, mais le fruit d’un raisonnement strictement technique. Il existe actuellement plus de 1.500 blockchains. Devant cette émergence, on a le sentiment que ce sont les lois qui vont devoir s'adapter aux blockchains et pas l’inverse."